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Photo du rédacteurJustine Bonnery

Le Café Bénazet de Bram : à 92 ans, son patron essuie toujours le formica

Il roule en décapotable, il a connu les rails du tramway qui reliait Fanjeaux à Saint-Denis, il a échangé une miche de pain contre une montre à un réfugié espagnol, il a 92 années de soupes au compteur et toujours la patate : voici le portrait du paladin Julien Bénazet.

« Soit tu sais boire, soit tu ne bois pas », déclare Julien derrière son comptoir. © Baptistin Vuillemot

Sis entre Castelnaudary et Carcassonne, Bram est un village circulaire d'un peu plus de 3000 habitants. Attenant à son poste de police municipale, le rustique bistrot de Julien alias « Jules » continue de remplir des verres à ballon. « J'ai vraiment un pédigrée de vrai Bramais », assure-t-il, « mon grand-père était maire de Bram et mon oncle curé ».

Horloger de formation, Julien a cessé son activité « quand les montres à quartz sont arrivées » et a repris le bar familial au décès de ses parents. Une gigantesque salle semblable à un hall de gare suffit à faire de son bar un lieu magique. Carrelage tricolore, tables en marbre blanc, banquettes vintage en cuir mauve, tapisserie old school, carafes 51 en plastique et cendriers en pot de yaourt : voilà le meilleur estaminet du coin.

« À l'époque, il y avait 13 bars à Bram, maintenant il en reste trois », témoigne Julien. © Baptistin Vuillemot


Cartes sur table

Il est 8h30. Julien est tout seul dans son bar, coi et en attente sur sa banquette. Les fidèles arrivent un à un vers 9 heures et chacun salue tout le monde. Presque inutile de passer commande, Julien sait ce que ses zigues consomment. À une table on se demande « s'il est temps d'arracher les tomates », à l'autre, on potine tandis que le comptoir sert de divan de psy. Impassible, Julien écoute.

10h20 : on déroule le tapis vert et la première partie de belote débute. « On joue tous les jours, c'est convivial », sourit Julien, « moi je joue normalement, je ne me prends pas pour le messie ». Une seule partie en cours mais dieu ce qu'on a le verbe haut ici. Ça rit gras, ça gueule, ça belote et rebelote pendant que Julien, tout petit, s'attelle à son fiacre.

Il est 10h58 et le premier Ricard est servi. On fête la sortie de prison d'un fidèle. Ici, les clients débarrassent leur tasse, vont chercher le courrier ou le combiné quand le téléphone sonne.

Bientôt midi et comme Julien est un gâte-sauce, il propose à ses collègues de troquet de rester déjeuner. « Ils amènent quelque chose, ils cuisinent et on boit 100 litres de vin facile », explique-t-il en montrant la cuisine, cette même pièce où il est né. Julien ne dit pas « à table » mais « à taple » et d'ailleurs ici tout le monde roule les R.

Cerise sur le gâteau

La petite relique du bar, c'est cette magnifique salle de bal qui n'est plus aux normes depuis « une paire d'années ». Le sol glissant d'un dance floor qui semblait fou a laissé place à la poussière et au silence. « Avant on dansait le tango, le paso et surtout la java », témoigne avec fierté celui qui organisait aussi « des lotos sensationnels ». « Nous avions de grands orchestres qui venaient, et certains dimanches, mon père faisait danser les gens sur la route. »

L'ancienne salle de bal du café Bénazet. © Baptistin Vuillemot

Ici les prix ne dépassent pas les 2€50, le café coûte 1€ et le pastis 50 cents de plus, « mais faut pas trop le dire j'ai assez de clients », lance-t-il avec un clin d'œil. Voilà, le « Café Bénazet » de Julien c'est la cambuse idéale pour se mettre le moral d'équerre et profiter des anciens dans une petite commune d'Occitanie.

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